Grandir vegan dans une famille arabe…

C’est comme expliquer à quelqu’un ce que c’est le gluten

bySamia Badie

La plupart des gens se souviennent très précisément du moment où ils ont choisi de devenir végétariens ou vegans. Certains de mes amis à Londres, ceux qui ont décidé de franchir le pas, mentionnent l’écologie (l’élevage est la principale source des gaz à effet de serre, de l’usure du sol et autres dégradations) comme des facteur clé.

 

Mais mon raisonnement a toujours été un peu différent. Je n’ai pas choisi d’être vegan à cause de l’environnement (bien que ce soit aussi une grande raison) ou parce que j’aime les animaux ( je les adore, bien plus que certains humains), mais en réalité, c’est à cause d’une expérience affreusement traumatique que j’ai vécue quand j’étais encore enfant.

 

Ayant grandi dans un ménage marocain de première génération en plein cœur du Sussex en Angleterre, nous passions généralement les étés au Maroc. Chaque fois que nous arrivions à Fez, nous étions accueillis à grandes embrassades, et chaque membre de la famille vivant dans un rayon de 200 km venait aux retrouvailles chez mon père. C’était à chaque fois une grande fête de bienvenue.

 

Un de mes tout premiers souvenirs, c’est quand nous sommes retournés au Maroc pour la circoncision de mon frère (oui, nous avons dedié un voyage entier à cette occasion, imaginez donc devoir expliquer ça à chaque élève de mon école anglaise…).

 

Des choses passionnantes ont commencé à se passer à la maison : l’arrivée de meubles traditionnels bizarres, d’énormes tajines, deux moutons et une armada de poulets. J’étais au comble de l’excitation. Avec tous ces animaux j’avais maintenant ma propre mini-ferme au cœur de Fez.

 

J’ai donné un nom aux deux moutons, et chaque jour, je courais autour de la cour avec les poules. Mais quand vint le jour prévu pour la circoncision de mon frère, soudain, mes nouveaux copains de la ferme disparurent. Je courus vers la maison pour demander à ma mère où ils étaient allés, pas de réponse. J’ai demandé à papa, pas de réponse. J’ai couru vers le fond de la cour… et là, je les ai vus… suspendus par les pattes à un fil de fer, avec deux hommes occupés à fouiller dans leurs panses découpées avec le plus grand couteau que j’aie jamais vu. J’ai regardé vers le bas, et là tournicotait ma poule favorite, courant avec la moitié de sa tête arrachée. Je suis rentrée en courant, et j’ai pleuré. Je ne pouvais pas croire, un, qu’ils étaient devenus d’étranges sacrifices pour la circoncision de mon frère et deux, que c’était comme ça qu’on faisait la viande. Elle venait du ventre des bêtes. C’était ça l’origine de tous ces McChicken nuggets que j’avais mangés. J’étais dégoûtée.

Depuis ce jour-là, je n’ai plus jamais mangé de viande.

 

ARAB - VEGAN 1

 

Mais expliquer ça à ma famille, elle qui croyait dur comme fer qu’acheter de la viande était une sorte de rite de passage et un signe de richesse, ça, ça a été une autre histoire. La plupart des familles occidentales peuvent comprendre que c’est un des avantages de ce millénaire de pouvoir vivre sans gluten, alors que mon père a un frigo tout entier juste pour la viande. Le boucher halal en bas de la rue est pratiquement un membre de la famille. Même aujourd’hui, quand je rentre à la maison, maman me tend un grand bol de harrira (soupe aux lentilles et à la viande) et prétend l’air de rien qu’aucun cube de viande ne s’y cache. Quand je lui rappelle que je ne mange pas de viande, elle glousse et sourit, pendant que papa me demande ce qui ne va pas : est-ce que je suis malade ? Est-ce que j’ai assez d’argent ?

 

Le véganisme, pour la plupart des membres de ma famille, c’est si abstrait… Et pourquoi ne le serait-ce pas ? Les gens regardent Cowspiracy et font le vœu de ne plus jamais toucher à un filet mignon, mais au Maroc, la viande est cérémonielle, c’est un symbole de fête et de plaisir.

 

Et quand je rentre au Maroc, inutile de songer à expliquer à mon grand-père ce que signifie le véganisme délibéré. Comme d’habitude, il prendra une cuisse entière de poulet dans le tajine, et me la tendra, me faisant signe de la manger de bon cœur – après tout, pour eux, c’est comme un cadeau. Alors, au lieu de la regarder avec mon habituel dégoût, je la prendrai en souriant… et l’enterrerai sous le couscous en face de moi.

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